lundi 21 août 2023

Manifeste Cyborg : Science, technologie et féminisme socialiste à la fin du XXe siècle (1985)

Le cyborg est une créature qui vit dans un monde post-genre ; il n’a rien à voir avec la bisexualité, la symbiose pré-œdipienne, l’inaliénation du travail, ou tout autre tentation de parvenir à une plénitude organique à travers l’ultime appropriation du pouvoir de chacune de ses parties par une unité supérieure. Le cyborg n’a pas d’histoire de ses origines au sens occidental du terme – ultime ironie puisqu’il est aussi l’horrible conséquence, l’apocalypse finale de l’escalade de la domination de l’individuation abstraite, le moi par excellence, enfin dégagé de toute dépendance, un homme dans l’espace. L’histoire des origines, au sens humaniste occidental du terme, repose sur le mythe d’une unité, d’une plénitude, d’une béatitude et d’une terreur originelles représentées par la mère phallique dont tous les humains doivent se détacher, pour accomplir leur double tâche de développement individuel et historique, selon les mythes jumeaux super-puissants hérités du marxisme et de la psychanalyse. Comme l’a montré Hilary Klein, le marxisme et la psychanalyse reposent, dans leur conception du travail, de l’individuation et de l’élaboration des genres, sur le même scénario : la différence doit être produite à partir d’une unité originelle et trouver un rôle dans la mise en scène de la montée de la domination qui s’exerce sur la femme/nature. Le cyborg saute l’étape de l’unité originelle, celle de l’identification avec la nature au sens occidental du terme. Voici sa promesse illégitime, qui pourrait nous conduire vers la subversion de sa téléologie de guerre des étoiles.

  • Donna Haraway
  • Dans Mouvements 2006/3-4 (n°45-46), pages 15 à 21

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