Le Baiser du soir. Sur la psychologie de Proust

Jalousie, attente, représentation, réel, imagination, amour, mémoire, solitude, connaissance impossible du moi, désir, temps… la plupart des thèmes chers à Nicolas Grimaldi dialoguent sans fin avec l’œuvre proustienne. Le philosophe retourne donc à La Recherche avec constance, comme le seau au puits : en sachant la source inépuisable et toujours nouvelle. Le Baiser du soir est son dernier opus consacré explicitement à une relecture de Proust. Après avoir exploré longuement les tensions de l’amour et du désir (notamment dans Proust. Les horreurs de l’amour, et Essai sur la jalousie. L’enfer proustien, PUF, 2008 et 2010), il creuse ici les paradoxes de l’imagination et la distinction entre mémoire volontaire et mémoire involontaire. Paradoxes car, si, communément, l’imagination comme faculté de représentation voisine avec l’illusion, elle est au contraire chez Proust un accès à la vérité du réel : ce n’est pas le souvenir du passé que fait resurgir la sensation de la madeleine, mais bien la réalité vécue que cette mémoire involontaire rend présente, plus présente même que lorsque le narrateur la vivait. Quant à ce « baiser du soir », baiser de sa mère que Marcel attend en vain dans sa chambre lors des visites de Swann, il n’existe justement que par son absence : nulle réalité n’est plus obsédante, note Grimaldi, que l’absence de ce qu’on attend puisque « toute attente nous sépare de ce qu’elle nous fait attendre ». Les lecteurs fidèles de Nicolas Grimaldi éprouveront, au choix, le sentiment qu’il se répète ou qu’il cultive l’art subtil de la reprise et de l’approfondissement. Les lecteurs de Proust y trouveront un miel neuf. Quant à ceux qui ne connaissent ni leur Recherche ni leur Grimaldi sur le bout des doigts, il leur restera – c’est l’essentiel – le pur plaisir d’une langue élégante et celui d’une pensée qui aime les opacités de la psychologie humaine.

Par CATHERINE PORTEVIN

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