mardi 31 mars 2015

La métaphysique de l'amour (sexuel)

« Si nous abaissons nos regards sur la mêlée de la vie, que voyons-nous ? Tous les hommes pressés par la misère et les souffrances emploient leurs forces à satisfaire ces besoins infinis, à se défendre contre les formes multiples de la douleur sans pouvoir espérer rien d'autre que la Conservation de cette vie individuelle, si tourmentée pendant un court espace de temps. Cependant, au milieu de ce tumulte, nous apercevons les regards de deux amants qui se rencontrent ardents de désir : — pourquoi tant de mystère, de dissimulation et de crainte ? — Parce que ces amants sont des traîtres, dont les aspirations secrètes tendent à perpétuer toute cette misère et tous ces tracas, sans eux bientôt finis, et dont ils rendront le terme impossible, comme leurs semblables l'ont déjà fait avant eux. » (Le Monde comme Volonté et comme représentation, trad. A. Burdeau, tome III, p. 371. Alcan)

Au sujet de sa théorie de l'homosexualité, on doit faire remarquer que l'instinct est loin d'avoir l'infaillibilité que lui prête Schopenhauer et que des signes de dégénérescence physique ou mentale marqués sont relativement rares aussi bien chez les hommes que les femmes homosexuels. Par rapport au nombre total des homosexuels, ces signes ne se rencontrent pas plus souvent que chez les hétérosexuels des deux sexes. Tous les humains passent avant la puberté par une période bisexuelle (phase indifférenciée de Max Dessoir) comportant des phénomènes homosexuels, mais les hommes d'âge viril, qui présentent une glande de puberté mâle et normale – et susceptible par conséquent d'engendrer de beaux enfants – sont susceptibles d'avoir des sentiments féminins ou inversement.

Jean Charles-Nicaise Perrin (1754-1831) : Alcibiade surpris par Socrate dans la maison d’une courtisane.


L'erreur de Schopenhauer c'est de chercher à expliquer tous les cas d'homosexualité par un schéma unique. Or, il existe assurément des voies diverses qui conduisent toutes à l'homosexualité. Ce qu'on peut retenir de sa Métaphysique de l'Amour, c'est cette idée d'une finalité de l'homosexualité, en tant que contrepoids naturel à l'instinct de procréation, qui risquerait de surpeupler le globe – contrepoids plus satisfaisant que l'avortement préconisé par Aristote, et pratiqué clandestinement mais très souvent dans nos sociétés.

Sur cette question de La métaphysique de l'amour, Michel Foucault a pu s'appuyer, entre autres, sur le riche corpus étudié par Félix Buffère, dans Éros adolescent; La pédérastie dans la Grèce antique, ou l'ouvrage de John Boswell, Christianuty : Social Tolérance, and homosexualité, des travaux qui rompaient avec les censeurs ou les euphémismes des chapitres << Vie privée des Anciens>> des livres d'histoire traditionnels.

Le livre de l'helléniste anglais Kenneth Dover, Greek Homosexuality (1978) a constitué une étape implicite de l'Histoire de la sexualité : il permet cette transition entre la dimension politique d'une analyse de l'époque moderne et la dimension éthique d'une analyse de certains discours antiques.

Joseph Wortis a travaillé sur l'homosexualité et il raconte son aventure dans Psychanalyse à Vienne, 1934 "Notes sur mon analyse avec Freud" dont voici des extraits de l'édition Denoël :
 Je me mis à parler d’autres choses, et gardant à l’esprit le but particulier de ma bourse je repris la conversation de la veille. Si tout le monde ressentait des pulsions bisexuelles, je ne voyais pas de raison prépondérante pour qu’on ne se laisse pas aller à une conduite bisexuelle. Freud prit la parole : << Les individus normaux ont une certaine composante homosexuelle mais ils ont aussi une composante hétérosexuelle très forte. La composante homosexuelle doit être sublimée, comme elle est généralement maintenant dans notre société; c’est une des propriétés de la race humaine les plus valables, elle devrait être mise au rang des usages sociaux. On ne peut pas lâcher totalement la bride à nos pulsions. Votre attitude me rappelle celle d’un petit garçon, qui venait de découvrir que tout le monde défèque et qui demanda alors que chacun le fasse en public; c’est impossible. Nous avons beaucoup d’autres pulsions (Triebe) mais nous ne pouvons pas les satisfaire; il y a par exemple la pulsion agressive ou destructive, qui aurait des effets désastreux si elle n’était pas maîtrisée…>>
<<Mais c'est évidemment une plusion nuisible>> 
<<Pas du tout>>,  répondit Freud, passant à côté de ma question,  <<correctement utilisée, elle est inestimable et absolument nécessaire à la société. Les gouvernements entiers, les administrations, la vie officielle, tout cela fonctionne sur la base des pulsions homosexuelles, qui reste bien sûr inconscientes et non manifestes. Ce serait désastreux si elles ne le demeuraient pas. 
Vous ne pouvez pas être un bon professeur, par exemple, si vous n’avez pas quelques élans homosexuels que vous sublimez en un intérêt, teinté de sympathie pour vos élèves; s’il advenait que vous pulsions deviennent manifestes, le résultat serait exactement contraire. On ne peut pas admettre la bisexualité, ils l'ont peut-être déjà appris en Union Soviétique. Même en Grèce, elle était loin d’être encouragée.>>
 <<Peut-être à cause du suicide racial que cela laissait présager. >>
<<Les Grecs ne pensaient pas à ça. Pour utiliser une analogie, un homme ne peut pas entretenir dans le luxe à la fois sa femme est une maîtresse, sauf s'il est très riche; l’une des deux sera négligée. L’hétérosexualité comble d’une façon presque adéquate les besoins de l’individu.>>
J’étais satisfait lui dis-je, d’occuper mon temps à lire la littérature psychanalytique; j’en faisais d’ailleurs peut-être trop car son contenu s’obscurcissait parfois à mes yeux. Je trouvais que cette littérature dans son ensemble avait une influence pessimiste. (p:112)
(…)
Freud : << C’est peut-être vrai, mais d’un autre côté, l’homosexualité est beaucoup plus sûre, elle ne comporte aucun danger de procréation. Sur le plan social, elle a cependant une autre conséquence indésirable, elle empêcherait les hommes de penser objectivement. Un professeur homosexuel, par exemple, montrerait toujours une préférence pour certains élèves et cela pour des raisons purement émotionnelles; les bourses ne seraient pas attribuées aux meilleurs éléments. C'est ce qui arrive ici à l'université où, par exemple, les chrétiens sont préférés aux juifs sans qu'il soit tenu compte de leurs capacités respectives.>>
Je ne trouvais pas cet argument très valable et je dis seulement : << Ce genre de choses existe déjà dans les relations qu’ont les hommes et les femmes entre eux, mais ce n’est pas un désavantage sans mélange; en fait, les hommes et les femmes travaillent souvent très agréablement ensemble.>>
<<C’est parce que ils sont hommes et femmes et une relation homosexuelle rendrait les choses pires.>>
Je restais sur mes positions, persistant à croire que c’étaient les exigences et les restrictions sociales qui maintenaient la séxualité dans certaines voix et je citais l’affirmation d’Ellis que dans la Grèce antique, l’homosexualité était glorifiée; Freud déclara qu’en réalité, les Grecs la méprisaient. <<Il suffit de lire Aristophane pour découvrir comme elle était considérée>>, dit-il. Elle avait eu une vogue particulière pendant la période minoenne, subsistant seulement par la suite et disparaissant pour des raisons inconnues. <<Dans l’ensemble continua-t-il, l’homosexualité semble avoir été beaucoup plus étendue dans les temps anciens que de nos jours. Un philosophe a récemment écrit un livre pour montrer que l’œuvre de Platon n’est rien d’autre qu’une apologie de son homosexualité. >>
(p: 137)
(…)
J’étais dans la salle d’attente en train de lire un livre d’Einstein quand Freud entra. <<Einstein est un homme estimable, il a des idées intéressantes lui dis-je, mais la position qu’il prend vis-à-vis de la question juive m’intrigue un peu et j’avoue que je ne ressens que peu de sympathie pour son nationalisme juif qui est aussi celui que nous professez. J’aimerais me faire une idée claire du problème. Je n’éprouve pas de sentiment particulier pro-juif et tout dernièrement encore, il me semblait normal de me considérer avant tout comme un américain. Jusqu’où puis-je laisser mon allégeance aux Juifs me mener?>>
<<Il n’appartient pas aux Juifs de répondre, les Gentils font en sorte que ce ne soit pas nécessaire; tant que les Juifs ne seront pas admis dans les cercles chrétiens ils n’auront pas d’autres choix que de se regrouper>>
<< Et que pensez-vous qu’il se passera dans l’avenir ? J’aimerais que les juifs soient assimilés et qu’ils disparaissent en tant que tels; Enstein parle comme s’ils devaient être préservés à jamais>>
<< L’avenir montrera à quel point c’est possible. Je ne vois personnellement aucun inconvénient au mariage mixte si les deux parties sont faits l’un pour l’autre mais je dois dire que les chances de succès me semblent beaucoup plus grandes dans le cas d’un mariage entre Juifs : la vie de famille et plus intime, plus chaude, on y est plus attentifs les uns aux autres. Mes enfants mariés ont tous épouser des Juifs ou des Juives et pourtant ils auraient pu épouser des chrétiens s’ils avaient trouvé ce qui leur convenaient. Tous simplement, les Gentils qui les ont courtisées ou avec qui ils ont eu des contacts n’étaiten pas à la hauteur et les Juifs qu’ils fréquentaient leur semblaient supérieurs. Il se peut cependant qu’ils n'aient pas eu accès aux meilleurs cercles chrétiens. Il n’y a pas de raison pour que les Juifs ne soient pas parfaitement amicaux avec les Gentils; aucun réel conflit d’intérêt ne les oppose. Mais un juif ne devrait pas se faire baptiser et essayer de devenir chrétien parce que c’est essentiellement malhonnête et que sous tous leurs aspects, la religion juif et la religion chrétienne sont aussi déplorables l’une que l’autre. Le Juif et le chrétien devraient se rencontrer sur le terrain commun de l’athéisme et de l’humanisme. Les Juifs qui ont honte d’être Juif reflète l’opinion de la société dans laquelle ils vivent. >>
<<Je ne sais pas ce que les Juifs défendent. Je peux adhérer à un groupe scientifique, politique ou culturelle parce qu’il représente quelque idéal, mais que prône le judaïsme ? En quoi son idéal diffère-t-il de celui des autres groupes ?>>
<< L'égoïsme grossier est beaucoup plus commun chez les Gentils que chez les Juifs; la vie familiale et intellectuelle de ces derniers se place à des échelons plus élevés.>>
<< Il semblerait donc que vous pensiez que le peuple juif est un peuple supérieur>>
<< Aujourd’hui je le crois oui. Quand on pense que dix ou douze pour cent des prix Nobel ont été décernés à des Juifs, quand on pense aux oeuvres majeures qu’ils ont accomplies aussi bien dans les arts que dans les sciences, on a toutes les raisons de croire qu’ils sont supérieurs>>
<< Les Juifs se conduisent mal à New York spécialement.>>
<< C’est vrai, ils ne s’adaptent pas toujours à la vie sociale. Avant qu’ils ne soient émancipés en 1818, ils ne donnaient pas lieu à un problème social; il faisaient bande à part, avec un niveau de vie très bas, il est vrai, mais ils ne se mêlaient pas à la société ambiante. Depuis lors, ils ont eu beaucoup de choses à apprendre. Cependant dans les pays comme l'Italie où ils ont joui d’une réelle liberté, on ne peut plus les distinguer des Gentils du pays. Le vieux dicton : <<Chaque pays a Les Juifs qu’ils mérite>>, est vrai. L'Amérique n’acertainement pas mené à leur égard la meilleure des politiques sociales.>>
<< On dit aussi que les juifs sont physiquement intérieurs.>>
<< Cela n’est plus vrai non plus maintenant que les Juifs ont eu accès à la vie au grand jour, aux sports IIs sont sur tous les plans les égaux des Gentils et nous avons beaucoup de champion parmi nos sportifs.>>
<< Et pour finir, les Juifs sont trop intellectualisés; c'est Jung, par exemple, quia dit que la psychanalyse porte la marque de cette sur-intellectualisation juive.>>
<< Tant mieux pour la psychanalyse ! Les juifs ont très certainement tendance à rationaliser-c'est une très bonne chose. La contribution de Jung à la psychanalyse été entachée de mysticisme ce dont nous pouvons très bien nous passer... Mais je ne veux pas non plus aller trop loin sur la voie du rationalisme. Je ne suis pas sur sioniste-tout du moins pas comme l'est Enstein, bien que je sois l'un dès curateurs de l’université hébraïque de Palestine. Je reconnais cependant la grande puissance attractive d’un centre juif dans le monde, ce doit être un point important de ralliement pour les idéaux juifs. Si ce lieu avait été situé en Ouganda, cela n’aurait pas été du tout pareil : L’importance sentimentale de la Palestine était immense. Les juifs se représentaient leurs vieux compatriotes gémissant et priant, comme ceux des jours anciens, devant le mur antique -qui, au fait n'a pas été construit par Salomon mais par Herode - et ils sentaient revivre l’esprit des temps d’autres fois. J'ai craint quelques temps que le sionisme ne fournisse l’occasion de ressusciter l’ancienne religion, mais des gens qui sont allés là-bas m’ont assuré que les jeunes Juifs, dans leur ensemble, n’étaient pas religieux, ce qui est une bonne chose… Mais tout cela n’a rien à voir avec la psychanalyse, cela vaut cependant la peine d’en parler parce que je vois que vous vous intéressez sincèrement au problème. (p:158)
(…)
Freud : <<Dans toute personnalité on trouve telle ou telle nuance légèrement névrotique, et en tout état de cause, un certain degré de névrose est un élément dynamique d’une valeur inestimable, pour un psychologue spécialement; d’un autre côté, il peut arriver que tout en restant dans les limites d’une prétendue bonne santé on soit infligé de graves troubles de la personnalité…
Je suis sûr par exemple qu’il existe chez Ellis quelque anomalie sans laquelle, il ne se serait jamais consacré à la recherche sexuelle. Vou pourriez bien sur dire la même chose en ce qui me concerne mais je vous répondrai que premièrement, cela ne regarde personne et que deuxièmement, cela n’est pas vrai. Ce furent les études que je faisais sur les névroses qui m’amenèrent à étudier la sexualité - et cela des années avant que son importance ne s’impose à moi. (p:169)
(…)
Freud : << Il est certain que l’on devrait ajuster la production et la consommation d’une manière plus satisfaisante, mais il m’est difficile de prévoir ce que l’on pourra faire dans ce sens. Il nous faudra peut-être attendre d’autres découvertes scientifiques avant qu’aucune amélioration ne soit possible. Le prix que la liberté intellectuelle doit payer au communisme  est trop élevé; ce régime équivaut  une dictature intellectuelle: il n'est pas compatible avec la psychanalyse car il est trop dogmatique. 
Reich, qui est un psychanalyste très doué sera probablement amené à quitter le mouvement psychanalytique, parce qu’il est devenu communiste et qu’il a modifié ses vues. Il est convaincu par exemple que l’instinct d’agression et les problèmes sexuels sont les conséquences de la lutte des classes et non pas des produits des pulsions biologiques innées.>> Freud parla ensuite de la nécessité d’avoir la jouissance d’un local personnel et du droit d’être parfois seul. <<La non existence de ses droits suffit en elle-même à me rendre le communisme inacceptable>>, ajouta-t-il. (p:181)
(…)
L’ennui, c’est que la plupart des psychanalystes sont profondément engagés dans certaines procédures analytiques, qu’ils en font leur gagne-pain, qu’ils se sont forgés un certain nombre de liens en créant des organisations et institutions et qu’ils ont eu trop souvent tendance à s’écarter, d’une part, de la pratique médicale, des mouvements populaires, d’autre part. (p:214) 

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